Jann Halexander (Aurélien Makosso-Akendengué, de son vrai nom), est un franco-gabonais qui compte près d’une vingtaine d’années de carrière pour quasiment le même nombre en termes d’albums et de projets musicaux, parmi lesquels l’album Consolatio sorti en août 2021.
Un album qui interpelle dès son titre d’autant plus que le « consolatio » est un genre littéraire argumentatif qui a pour objet de consoler des affligés frappés par un malheur, le plus souvent la mort d'un être cher et que nous savons Jann Halexander adepte de la chanson à texte.
On est amené à se poser une multitude de questions comme celle de savoir si cet album ne tombait pas à point nommé, compte tenu de l’urgence sanitaire que traverse ou traversait le monde au moment de sa sortie.
Si idée de consolation il y a, on pourrait envisager que Jann Halexander invite ou incite fortement toute personne écoutant l’album à profiter de cette conjoncture pour un exercice particulier : se poser, réfléchir et plonger au fond de soi-même. Une invitation dans laquelle il semble se fixer lui-même des garde-fous, afin d’éviter de tomber dans les pièges d’une certaine forme de démagogie ou dans un côté barbant, en essayant de nous proposer de belles musiques. Parce que la musique est d’abord son moyen d’expression premier.
Consolatio ce sont souvent quelques notes de piano qui débutent une chanson. Ensuite vient la voix de Jann Halexander. On pourrait penser à une forme de monotonie qui s’installerait et qui nous sommerait de rester « par habitude » car « il doit bien y avoir » quelque chose à découvrir.
« Il
y a quelque chose de bien monotone
qui défie les saisons, de
l'hiver à l'automne
va donc savoir à quoi notre amour
s'accroche
a-t-on vraiment raison, vieillir seul, non, alors… »
Mais non, Jann Halexander n’est pas de ces poètes qui restent par habitude et qui écrivent uniquement pour eux.
« Je crois qu'au lieu d'être là
Je devrais t'écrire un poème
Peut-être je perds mon temps
Mais je décide de ma perte
Et qui saura, un jour peut-être
Te sera venue l'envie de me chercher... »
Au fil des chansons on passe par une palette de sentiments, d’émotions et de situations que peuvent vivre des millions de personnes à travers le monde et même à travers l’espace et le temps. Chacun des thèmes devenant parfois le prolongement ou venant remettre en cause un ou plusieurs autres avec l’idée qu’il peut toujours y avoir pire et peut-être mieux.
« Pour tenir il faut l’amour ». Et lorsque l’amour ne suffit plus, l’habitude vient prendre le relai.
« Reste
par habitude
on a passé tant de caps, faut que ça dure,
alors
reste par habitude
jusqu'à ce que le temps gomme nos
incertitudes… »
Mais « finalement que se passe-t-il quand on est dans une famille dans laquelle tout le monde se tape dessus ? ».
« Ce grand salaud va rendre l'âme
C'est pas trop tôt, nous dit sa femme
Il l'a trompée sans état d'âme
Pour lui, elle a perdu la flamme
Elle le regarde, tout soupirant
Elle attend le précieux moment
Avec une bouteille de crémant
Moi j'ai apporté des croissants… »
Que se passe-t-il « pour la personne seule attendant l’amour tant espéré ou avec lequel il y a un malentendu ? ».
« Je
t'écris de l'Île de Pâques
Seul dans ma nudité
Je cherche
des réponses à des questions fort bien étranges
Tu
rigolerais
Tu te moquerais
Voilà pourquoi nous ne sommes plus
ensemble... »
Comment tient-on le coup si « on n’a pas la foi » ?
« J'ai pas la foi, mais je vais bien
Où que tu sois, mais ça fait rien
J'ai pas la foi, mais je vais bien
C'est ce qu'on dit quand rien ne va… »
Et si on n’a pas la foi est-ce-que « je vais bien ? », est-ce que « ça pourrait être pire… »
« Crois-moi ça pourrait être pire
tu serais en train de fuir
des bombes sur ton village
et des violeurs aguerris
Allons donc prends du pastis
quoi, elle est pas belle la vie ?...»
Affiche de la tournée CONSOLATIO, 2022
Dans Consolatio, on trouve d’emblée cette démarche visant à aider les gens à supporter certaines situations et en même temps de s’aider soi-même à les supporter. Jann Halexander entame donc un dialogue avec l’autre et l’autre semble compter dans un monde où on peut tour à tour passer par la solitude, la douleur, la perte d’un être cher, la rupture amoureuse, l’exil. Dans un monde aux multiples affres, blessures, injustices, joies. Un monde aux multiples autres existences en parallèles. Ces existences pourraient-elles être les nôtres ?
« Quelques soient nos époques
non rien ne meurt jamais
Quelques soient nos époques
non rien ne meurt jamais
comme l'amour qu'on se voue
comme l'amour qu'on s'avoue
comme rien ne change jamais
on le regrette toujours
C'est ainsi que le clament
Des millions d'Hadrien
juste avant leur départs
vers des mondes incertains... »
Une chose est certaine, loin d’une autobiographie, Jann Halexander commence cet album en s’interrogeant lui-même sur sa condition dans ce monde et nous interroge dans le même temps. Une interrogation métaphysique sur ses existences précédentes, voire des origines de l’humanité « Qui étais-je avant…d’être celui de maintenant » et de « que restera-t-il dans l’obscurité du néant ? ».
« Qui
étais-je avant ?
L'eau le sable, le vent
Qui étais-je avant
d'être celui de maintenant
Qui
étais-je avant ?
Dans l'espace et le temps
Que restera-t-il
dans l'éternité du néant… »
Sur ce que nous avions été même avant de naître. Finalement, nous sommes ici incarnés mais qu’avons-nous été avant ?
« J'étais
une femme, j'étais un noir
Ou peut-être bien un juif
errant
J'étais poisson ou bien un chat
Ou une poussière
d'étoile filante… »
Et si cette interrogation s’applique à la palette des sentiments, émotions et situations qui traversent l’album Consolatio, on retiendra ce qui restera pour Jann Halexander :
« Qui
étais-je avant ?
Dans l'espace et le temps
Que restera-t-il
dans l'éternité du néant
Peut-être mon amour pour toi… »
Cheryl Itanda, poète et romancier gabonais
https://cherylitanda.com
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