dimanche 2 juillet 2023

Entretien avec Lionel Cédrick Ikogou-Renamy, auteur de 'Les économies occultes de l'or blanc au Gabon'

 



Au cours des dernières décennies, on observe en période électorale au Gabon, une recrudescence de la découverte de corps d'hommes ou de femmes délestés de leurs organes génitaux ou de cimetières profanés pour collecter des organes humains (crânes, langues, cheveux, coeurs, tibias, fémurs, phalanges, foies, poumons, sexes, testicules, clitoris, etc.). Ces organes humains aussi appelés "or blanc" servent à fabriquer des fétiches et de puissantes amulettes et permettraient de garantir les succès électoraux et le maintien ou l'acquisition de postes politiques. C'est l'objet de l'ouvrage  'Les économies occultes de l'or blanc au Gabon' Lionel Ikogou-Renamy qui a accepté de nous accorder un entretien. 

Merci, Lionel Ikogou-Renamy, de nous accorder un entretien. Vous avez rédigé l'ouvrage 'Les économies occultes de l'or blanc du Gabon' paru l'année dernière chez l'Harmattan. Vous y analysez le commerce des organes humains dans la société contemporaine gabonaise, qu'est-ce qui  vous a conduit à aborder ce sujet aussi explosif ? 

Merci pour l'intérêt que vous me portez. Ce qui m'a conduit à aborder ce sujet au point d'écrire un livre, c'est un constat. Premièrement j'ai habité à proximité des cimetières et j'ai toujours eu la possibilité de m'y balader, et observer régulièrement des casses de sépultures sans faire de rapprochement avec une période de la vie sociale. Cette proximité avec la "place des morts" a agi comme un catalyseur et lorsque j'ai eu cette occasion en année de Licence de Sociologie à l'université de Libreville, lors des propositions des sujets de recherche, j'ai soumis le sujet qui a vu l'approbation du directeur de recherche (Joseph Tonda)... 

Deuxio, le constat des profanations des tombes en période électorale au Gabon m'a davantage conforté dans ce choix car j'ai trouvé cela nouveau et intéressant

Votre ouvrage contient plus de 400 pages. Combien d'années de recherche ont été nécessaires pour mener à bien  ce travail ambitieux ? 

Cette recherche de 400 pages est le fruit de 6 annéesde recherche au département de Sociologie de l'université de Libreville, de l'année de licence de Sociologie en 2007, à son aboutissement heureux le 28 avril 2014 avec la soutenance de thèse de doctorat dans la formation doctorale des sciences sociales option Anthropologie africaine. C'est donc ce long cumul d'une recherche passionnante qui a abouti plus tard à la sortie de mon livre. Je note aussi qu'au Gabon, la recherche, est souvent très pénible, absence de sources informatives, objets d études délicats, l'omerta etc., pour ne citer que ces exemples, mais j'ai surmonté ces difficultés parce que j'ai cette impression d'un terrain quasi inexploré...

Avant vous, la question du commerce des organes humaines n'avait fait l'objet d'une véritable étude  digne de ce nom. Comment l'expliquez-vous ? Uniquement par la question du tabou ? Et avez-vous été menacé ? 

Sur cette question, il y a un fort travail du tabou, la force de l'imaginaire collectif y est aussi pour beaucoup... D'ailleurs à ce propos je suis tout à fait d accord avec le philosophe Sénèque qui rappelle que "nous souffrons de l'imagination plus que de la réalité"...

En 2012, j'ai été victime des menaces téléphoniques de mort, puis ça été le tour de ma mère, ce qui m'a fait prendre conscience de la dangerosité de cette recherche... Établir le rapport entre les profanations des tombes et les périodes électorales au Gabon, c'est osé... Surtout dans un pays où les services de renseignements travaillent... J'ai donc usé de prudence, d' ailleurs ce qui m'a emmené à proposer ce titre évocateur des "économies occultes de l'or blanc au Gabon"... Au final, cette forte métaphore illustre bien cette collusion au Gabon entre le pouvoir politique et l'usage de la mort...

Quelle a été la réception de votre travail au Gabon et à l'international ? 

Mon travail n'est pas bien perçu au plan local, "je m'attaque" d'après certains à nos mœurs et il n'est pas coutume de le faire. Que les choses soient claires, je ne juge personne, j'étudie de façon objective les effets des croyances et imaginaires, mieux leur impact sur les pratiques sociales, comment nous concevons la mort et notre rapport à elle. Au plan international, avec la publication du livre, je profite pour remercier (Joseph Tonda, Florence Bernault, Roberto Bénédicte, Noé Michalon) tous ceux qui ne ménagent aucun effort afin de promouvoir l'ouvrage...

Où en êtes-vous en 2023 dans votre parcours professionnel ? La publication de votre ouvrage a t-elle eu un impact sur votre vie ? 

Je poursuis mes recherches, je publie des articles dans de grandes revues internationales et un 2e ouvrage est en gestation... Professionnellement j'enseigne la philosophie dans les lycées parce qu'à l université, et comme par hasard, je n'ai pas pu avoir un poste malgré plusieurs tentatives de candidature jusque là infructueuses depuis 2014... Publier cet ouvrage a eu un impact plutôt positif sur moi car je ne perçois plus la mort de la même façon; j'ai davantage de respect pour elle, côtoyer la place des morts m'a rendu encore plus humble car, comme le disait Socrate, "je sais une chose, c'est que je ne sais rien"....


Merci 

Ouvrage disponible en librairies et sur amazon, fnac.com, decitre.com.